vendredi 6 mai 2016

Les obsèques de Mademoiselle Raucourt

La tombe de Mlle Raucourt au Père-Lachaise

Mademoiselle Raucourt (détails biographiques ici) a été l'une des grandes comédiennes de l'histoire du théâtre en France (l'égale de la Dusmenil, de la Clairon, de la Duchesnois ou de Mlle George). Une tragédienne hors-pair (et avec un constant parfum de scandale autour d'elle!) dont le talent s'est déployé à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle. 

Comme pour faire suite à cette vie sulfureuse (qui enchaînait amants et surtout maîtresses), sa mort a été le lieu d'un vif soulèvement populaire alors que l'Église, en la personne de l'abbé Marduel (nous sommes en 1815), lui refuse le repos éternel parce qu'elle n'a pas abjuré son vil état de comédienne:

Se ralliant à la majorité des avis, les amis de la défunte, résolus à soustraire sa dépouille au probable affront, décidèrent de la mener directement au Père-Lachaise. Le cercueil fut glissé dans le corbillard et on se mit en marche. Il était une heure. Mais, ignorant des dernières dispositions prises, le cocher se dirigea vers [l'église] Saint-Roch. Les ordonnateurs lui donnèrent l'ordre de suivre le boulevard. Il y eut un commencement de bagarre. Des furieux sautèrent aux brides des chevaux et les entraînèrent rue de la Michodière. Un vent de colère souffla sur la foule qui cria: «À l'église! À l'église!» La foule poussa le corbillard sur le parvis de Saint-Roch. Une députation se rendit auprès de l'abbé Marduel, le priant de se rendre aux vœux du peuple. Il allégua les ordres reçus et refusa. 

Alors, discrètement et craignant pour les suites de cette aventure, les comédiens donnèrent l'ordre au cocher de reprendre le chemin du cimetière. La foule, furieuse, arrivant par la rue Traversière, détela les chevaux et reconduisit le char funèbre à l'église. Malgré l'arrivée du commissaire de police et des agents, les portes furent enfoncées... Empoigné par cent mains, le cercueil de la morte fut apporté dans le chœur et déposé au pied de l'autel. Les briquets battus, tous les cierges flambèrent haut, tandis que, furieux et répétés, retentissaient les cris de: «Le curé! Le curé!»... L'abbé Marduel délégua un de ses vicaires pour dire l'office à la morte. En silence, les prières furent écoutées et, l'absoute donnée, le cercueil fut replacé sur le corbillard. La foule vida l'église. Le cortège passa devant la Comédie-Française et s'y arrêta. Un inconnu prononça un discours au milieu des larmes de tous les assistants. 

Le lendemain, aucun journal ne parla de ces incidents. Des ordres avait été donnés

C'est le témoignage de H. Fleischmann, comtemporain de l'actrice, relaté dans Grandes actrices - leur vie, leurs amours de Marcel Pollitzer.