lundi 15 février 2016

«Prendre le public au sérieux»


Vous avez peut-être remarqué que nous vivons dans une société qui rit. [...] Jamais les comiques n'ont connu un statut plus élevé. [...] Je voudrais avancer qu'un théâtre qui se prend au sérieux - et il le faut si l'on veut que les gens le prennent au sérieux - ne peut plus se permettre d'être comique. Dans une culture malade de comédie, il ne peut pas rire. Deuxièmement, à l'ère de l'information obsessionnelle, il ne peut se permettre d'être factuel. [...] Troisièmement, il doit déclarer que la vie est compliquée et que les choses ne sont pas ce qu'elles paraissent. Quatrièmement, et voilà pourquoi c'est un théâtre radical que je propose, il doit accorder au public ce que le public ne peut plus découvrir nulle part ailleurs - l'honneur d'être pris au sérieux. Prendre un public au sérieux, cela veut dire avoir envers lui de dures exigences.

Ce sont là - entre bien d'autres choses! - les règles du théâtre contemporain selon le dramaturge anglais Howard Barker dans son recueil Arguments pour un théâtre publié chez Les Solitaires intempestifs. 

C'est drastique... voire absolutiste. Mais totalement dénué d'intérêt? 

C'est intéressant, la question de la comédie dans cette ère de l'humour exacerbé... bien que je ne sois pas en accord avec sa réponse. J'aime surtout la dernière section de cette citation où il est question de prendre le public au sérieux. D'avoir envers lui des exigences. 

Pourtant, qu'est-ce que ça signifie exactement?

À la tête de deux organismes de production (qui carburent généralement sur le mode comique!), à chaque année vient le moment où il faut établir la programmation pour l'année suivante. Devant les multiples possibilités qui s'offrent à nous, chaque fois, la question du spectateur refait surface: lui donner ce qu'on pense qu'il souhaite ou l'amener vers de nouvelles propositions parfois audacieuses?  Le surprendre ou lui offrir un projet facile d'accès? Bousculer ses habitudes en lui faisant confiance ou conforter ses attentes?

Prendre le public au sérieux n'est-ce pas aussi miser sur son intelligence et sa curiosité?