jeudi 4 septembre 2014

«De quoi donc est-il fait le rouge du théâtre?»

Voici un poème de Jean Cocteau que j'aime bien (j'aime bien et le poème, et Jean Cocteau!)... de même que j'aime bien et le rouge, et le théâtre...


De quoi donc est-il fait le rouge du théâtre ?
Ce rideau, ces décors qui flambent comme un âtre,
Où la rampe s’embrase, où crépitent les mains,
De quoi donc est-il fait ? De mille cœurs humains,
D’un sang constellé d’or, et, qu’on pleure ou qu’on rie,
La salle de théâtre est une boucherie
De héros écorchés sur les feuillages d’or.

Et lorsque, courageux comme un toréador,
Ce rideau qui masquait le palais ou la rue
Se lève, l’animal de la foule se rue,
Et les comédiens qui perdent le sang blanc
De l’âme, de mourir chaque soir font semblant,
Et meurent, mélangés aux ombres qu’ils suscitent,
Et mort, sont chaque soir des morts qui ressuscitent.

Que de mensonges purs ! Que de corps glorieux !
Et ces magiciens, quels sont-ils ? Ce sont Eux,
Eux, les acteurs, les fous, monstres sacrés des planches,
Sous les péplums de pourpres et les tuniques blanches,
S’épuisant et tombant et passant le flambeau.

Avouez que c’est brave, avouez que c’est beau !
Regardez-les, sortis de nos rouges royaumes
Et du cinéma pâle où vivent leur fantômes,
Suivre, fantôme l’un, l’autre en chair et en os,
Le char de Melpomène et de Dionysos.

Le clair de lune est-il le soleil des statues ?
Mais les marbres tués et les marbres qui tuent
Puisent chez nous la vie en cet embrasement.
Le Théâtre ! Le temple éternel du moment !
Le Vénusberg terrible avec ses girandoles
Et ses torches de feu, de gestes, de paroles,
Laisserait-il le cœur et la bourse fermés ?

Faites vivre ces morts que l’on a tant aimés.