samedi 5 janvier 2013

«Les cellulaires sonnent encore dans les salles»


Ce matin, je retranscris ici (en grande partie), un article de Victoria Ahearn, de la Presse Canadienne à Toronto, paru sur le site de LaPresse.ca le 31 décembre dernier et hier, dans l'édition papier du même journal. Il y est question d'une plaie technologique, le cellulaire, et de ses innombrables incursions dans les salles de spectacle, au grand dam de tous les artistes... et des autres spectateurs!

Les cellulaires sonnent encore dans les salles

Il est devenu courant que les spectateurs d'une pièce de théâtre ou d'une autre production culturelle se fassent rappeler, avant le lever du rideau, d'éteindre leur téléphone cellulaire. Certaines productions vont même jusqu'à monter de petits sketches, ou à diffuser un message personnalisé avec les acteurs de la pièce.

Mais tous ces efforts n'offrent pas le résultat escompté, affirment plusieurs acteurs, qui ont bien peu d'espoir de voir une amélioration de la situation au cours de la prochaine année.

Une partie du problème provient de la perception selon laquelle il existe un «mur invisible», grâce auquel les acteurs ne pourraient entendre ou voir ce que fait le public, estime Annie Potts, qui a entre autres joué dans Le Dieu du carnage à Broadway, en 2009. «Ce qui est totalement faux, souligne-t-elle. Nous sommes très sensibles à la respiration même d'une salle, et si une sonnerie retentit, je me sens comme si l'on m'avait électrocutée - littéralement.»

Liev Schreiber, qui a joué dans de nombreuses pièces, a même entendu des spectateurs répondre au téléphone pendant la représentation. «Vous allez entendre une conversation complète, ce qui me renverse.»

Le phénomène ne gêne pas seulement les acteurs sur scène. «Cela déchire le voile que vous tentez de créer», explique Robert Harling, qui a écrit la pièce Steel Magnolias. «En tant qu'auteur, je préférerais que le public entende mes mots plutôt qu'une sonnerie de téléphone.»

Mais comment mettre fin à ce phénomène agaçant?

Certains spectateurs, comme les médecins, ont peut-être besoin de leur téléphone en cas d'urgence. Bloquer les signaux ou imposer une interdiction est peut-être ainsi «un peu dangereux», admet David Mirvish, fondateur de Mirvish Productions, la plus importante compagnie de production théâtrale commerciale du pays. «Il y a parfois une raison pour laquelle une personne porte un téléavertisseur ou un autre appareil à sa ceinture, et cela n'a pas à déranger le public - cela peut vibrer.»

Certains artistes ont décidé de signaler leur erreur au public lorsque des téléphones sonnent. C'est d'ailleurs le cas du chef de l'Orchestre philarmonique de New York, Alan Gilbert, qui a interrompu le concert pour demander à un spectateur d'éteindre son appareil qui n'arrêtait pas de sonner.

Le grand acteur canadien Christopher Plummer a sa technique: «Si vous êtes seul sur scène - pour ne pas embarrasser vos partenaires -, vous dites simplement, si un téléphone sonne: «''Je vais répondre''. Les autres spectateurs applaudissent, parce qu'ils détestent ça eux aussi quand un téléphone sonne.»

Des concessions?

Et ce ne sont pas seulement les sonneries qui dérangent, mais également les écrans lumineux des téléphones intelligents.

Malgré tout, certaines salles ont décidé de tendre la main aux téléphones intelligents, bien que de façon limitée, et en tâchant de ne pas perturber le déroulement du spectacle, dans le but de séduire un public plus jeune et entiché des médias sociaux.

Le Public Theater de New York et l'Orchestre symphonique de Cincinnati font partie des institutions culturelles qui réservent des sièges aux gens désirant gazouiller sur le réseau social Twitter pendant les spectacles. Le second a d'ailleurs fait appel à des musicologues pour répondre aux gazouilleurs et fournir du contexte aux gens qui utilisent les réseaux sociaux pendant les concerts.

De son côté, l'Opéra de Palm Beach, en Floride, offre des sièges pour gazouiller pendant la générale des opéras. L'initiative s'est révélée «très populaire», et représente un très bon moyen pour faire participer les jeunes et nouveaux spectateurs, explique Ceci Dadisman, directrice du marketing et des relations publiques de la compagnie.

À Bellevue, dans l'État de Washington, des permis viennent d'être émis pour la construction du Tateuchi Center, une salle de 2000 places équipée d'un accès sans fil dans l'ensemble de l'édifice. L'usage des téléphones cellulaires devrait d'ailleurs être permis sous certaines conditions pendant les spectacles.

Cette mentalité est cependant vivement rejetée par M. Mirvish. «Les sièges pour gazouiller constituent le concept le plus dénué de sens depuis l'invention de la technologie moderne», affirme-t-il. «Le théâtre est une idée permettant de vivre une expérience commune avec des gens rassemblés dans un endroit à un moment précis: entre les artistes et le public, et entre les membres du public. Gazouiller signifie sortir de cet espace et le commenter pendant qu'il se produit. Vous ne participez plus; vous n'êtes même plus un spectateur.»