dimanche 21 octobre 2012

De l'autre côté de la scène...

Pour marquer le trentième anniversaire (célébré en grandes pompes hier soir) des Têtes Heureuses, Rodrigue Villeneuve a commandé des textes à une trentaine de personnes, collaborateurs, complices, amis. Ces textes ayant pour mission de relater une soirée marquante au théâtre, leur théâtre. Voici le mien...

Automne d’un dimanche après-midi de novembre. Froid mais ensoleillé. Peut-être en 1999… à moins que ça ne soit en 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 ou 2007… et hier soir se tenait – traditionnellement sous la première neige, il va sans dire! - la première officielle des Têtes Heureuses.

On y joue Wilde… à moins, encore là, que ce ne soit Molière, Shakespeare, Claudel, Giguère, Gauthier, Norén ou Büchner. Les univers sont nombreux et le mien s’y confond à chaque fois… dans un espace qui déborde de la scène et des questions esthétiques… qui les précède, en quelque sorte.

Au pavillon des arts, dans l’odeur des bouquets de fleurs qui ornent le guichet, une certaine fatigue flotte: la réception bien arrosée qui a suivi la représentation s’est terminée tard. Pendant quelques minutes, elle est quelque peu égratignée par les grincements des chaises et des tables qui doivent reprendre leur place.


Une douce léthargie règne en cette première matinée.

Dans l’atelier, les coupes et les restes de toutes sortes s’empilent sur le comptoir attendant quelques minutes de liberté (qui viendront bientôt) pour se voir remplacer par un ordre relatif, à travers les outils et les accessoires de répétition qui jonchent encore la place.

Les comédiens arrivent et se dirigent vers les loges, armés, pour la plupart, d’un café pour repousser le manque de sommeil et animer les discussions qui reprennent dès que celui-ci croise celui-là. Dernier jour avant une première pause… la première depuis fort longtemps alors qu’ont été enchaînées les ultimes répétitions, l’installation des lumières, les générales. Pendant qu’ils se préparent, Rodrigue passe les saluer et commenter ce qu’il a vu, la veille.


Dans le hall, notre scène, nous nous installons, Hélène et moi, pour accueillir les spectateurs qui seront relativement peu nombreux en ce premier dimanche. Encore une fois – comme à toutes les fois – ils recueilleront, avec étonnement et interrogation le petit jeton de métal (une décoration d’armoire) que nous leur tendons pour compter les places. Les tâches sont bien définies par le temps et l’habitude. Presque une chorégraphie. Une main droite qui fait confiance à la gauche… et vice-versa.


Le public arrive, s’égrenant. Quelques chuchotements s’élèvent jusqu’à ce que s’ouvrent les portes de la salle.


Puis c’est l’attente. Un moment indescriptible. Précieux.

Tant d’heures passées, assis à une petite table ronde, à préserver un silence théâtral, à compter la caisse, à faire le premier dépôt, à sourire devant un comédien qui passe en courant pour son entrée, à relire les quelques journaux qui se trouvent là par hasard, à se perdre le regard dehors en vivant, de souvenir, le déroulement du spectacle, à tendre l’oreille pour savourer les réactions.

De l’autre côté de la fenêtre, dans l’autre pavillon, un étudiant travaille sur son projet de session. Ses déplacements, ses gestes hypnotisent... À quelques reprises, il ira fumer.
 
De fois en fois s'accentue ma connaissance intime de ce lieu. Je connais par cœur la configuration de l’espace. L’escalier rouge. Le son des portes que l’on entrouvre discrètement pour vérifier l’approche du moment où il faudra s’activer pour offrir un bar à l’entracte. Le son des souliers sur le béton du plancher. Le bruit de la caisse de bière glissée sous le mobilier. La revue pliée en deux qui retient la porte extérieure le temps d’une cigarette. Les discussions sur tout et sur rien.

Pour moi, ce fut aussi ça, les Têtes Heureuses. Une attente attentive. Reposante. Une odeur. Une lumière. De celles qui, immanquablement, procurent une nostalgie à chaque année lors de la première neige qui vient, plus souvent qu’autrement, au début du mois de novembre.