mardi 26 juin 2012

Les egos théâtraux...

 Sacha Guitry et Michel François, Théâtre du Gymnase, 1950

Je suis un fan de Sacha Guitry... et plus j'en lis, plus j'ai envie de remonter un autre de ses textes (après le Nono du Théâtre 100 Masques, en 2008). C'est un auteur avec de l'esprit. Vif. Doté d'une écriture souple. Et animé d'une véritable passion théâtrale... Une passion pour le mot juste, le quiproquo, la joute verbale, les personnages verbeux! Une passion enfin, pour un métier. Une vie pour la scène... À ce titre, ses deux plus belles pièces sur le théâtre, Le Comédien et Deburau, sont de très belles odes à l'art dramatique, sa pratique, ses egos!

Voici un extrait de cette dernière pièce (c'est la dernière que Guitry a jouée, en 1953)... alors que le fils, Charles Deburau, vient voir son père, comédien réputé pour la pantomime, pour lui apprendre qu'il veut suivre ses pas. Une rencontre qui ne se passe pas très bien:

Charles Deburau
Je crois que tu serais, papa, plus éloquent
Si tu vantais ses qualités.
Tu ne parviendras pas à me décourager.
Et tu n'effaceras jamais de ma mémoire
Les jours où je t'ai vu tout rayonnant de gloire
Revenant du théâtre après un grand succès.
Je n'oublierai jamais les mots que tu disais.
Tu disais: «Quel triomphe!» ou bien «Quelle victoire!»
Ou bien tout simplement: «Je suis assez content.»
[...]
Tout ce que tu peux dire aujourd'hui m'est égal,
Je t'ai vu glorieux!... Tu n'as jamais été,
Dis-tu, qu'un pitre, en vérité?
Ne te souviens-tu pas d'un grand jour triomphal
Où tu m'as même demandé mon avis sur toi-même?

Deburau
Ton avis?

Charles Deburau
Oui, papa. Tu m'as dit: «Toi qui m'aimes,
«Dis-moi la vérité.
«Comment ai-je joué ce soir?
«Ai-je été
«Bien?
«N'ai-je pas des défauts que l'on commence à voir,
«N'as-tu rien remarqué?» Je t'ai répondu: «Rien!»
Car je t'avais trouvé, comme toujours, superbe -
Et je t'ai dit que tu étais probablement
Le plus grand acteur de la terre! Et, souriant,
Tu m'as dit: «Pourquoi cet adverbe?
«Pourquoi le mot probablement?»
Pourtant, tu insistais, tu me disais: «Dis-moi
«Sincèrement comment, toi, tu m'as trouvé, toi!»
Tu semblais implorer de moi quelque critique,
Tu répétais: «Je t'en supplie, allons, dis-moi
«Si quelque chose dans mon jeu, dans mon physique
«Était moins bien ce soir... ça me rendrait service...
«Un mouvement de moi t'a-t-il semblé factice?
«Parle enfin!»
Alors, ma foi, j'ai dit: «Peut-être qu'à la fin
«Tu n'avais pas, ce soir...» Mais un regard sévère
Interrompit ma phrase et, soudain, suffocant,
Tu m'as dit: «Fous le camp!
«Oh! Petit malheureux qui critiques ton père!»

Ce sont là de belles descriptions qui pourraient s'accoler à des noms plus contemporains... Malgré les années, les textes de Guitry demeurent encore d'actualité...