jeudi 23 février 2012

Une visite dans un théâtre en 1875


Petite déambulation dans un théâtre, par un bon matin de 1875... tiré de l'ouvrage qui illustre ce billet.

[...] Nous voici arrivés au théâtre. Il est entendu que nous faisons notre visite de très-bon matin, afin de n'être pas dérangés et de pouvoir examiner tout à loisir.

Éveillons le concierge, fort surpris de voir des visiteurs à sept heures du matin, et engageons-nous dans l'escalier des artistes.

Après avoir traversé un corridor et franchi un escalier peu éclairés, nous entrons dans un grand espace, dont nous ne distinguons pas bien les extrémités à cause de l'obscurité. Une petite lanterne, placée sur une table, jette assez de lumière pour faire jaillir un point brillant sur le casque d'un pompier assis à côté. Dans le fond, on voit plusieurs lignes de points lumineux; ce sont les ouvertures circulaires, percées à chaque étage dans les portes de loges, par lesquelles le jour entre parcimonieusement.

Les yeux s'habituent peu à peu à cette demi-obscurité [...].

Nous voici sur la scène, la salle est devant nous; nous en sommes séparés par un filet de fer monté sur un bâti également en fer, tenant la place du rideau d'avant-scène; c'est une précaution contre l'incendie; à travers les mailles, nous voyons la salle avec ses devants de loges et ses fauteuils, qu'on a couverts de toiles grises pour les garantir de la poussière, toujours trop abondante dans un théâtre.

Approchons du pompier de service. A terre, près d'une rangée de seaux, sont une douzaine de haches, autant de croissants, espèces de faucilles au bout d'une longue perche, des éponges également fixées à l'extrémité de perches, une douzaine de tuyaux de pompe en cuir, et quelques lanternes. Tous ces objets sont tenus constamment en état, en prévision des dangers d'incendie.

Bientôt l'officier viendra passer l'inspection de ses hommes dans toutes les parties du théâtre; puis, après avoir visité les instruments, il fera partir ceux que le service de nuit ne retient plus. Il ne restera dans le poste que le service de jour. Le nombre des sapeurs-pompiers varie selon l'importance du théâtre, il est partout très-actif, principalement dans la nuit, où les rondes se font d'heure en heure. Les commencements d'incendie sont fréquents et nécessitent une surveillance incessante et active.

La scène et la salle, telles que nous les voyons à cette heure, ressemblent assez à une grande cave percée de soupiraux. En attendant que tout s'éclaire et s'anime, faisons connaissance avec l'endroit ou nous sommes.

Le plancher sur lequel nous avons trébuché plusieurs fois est mobile; il peut disparaître en quelques minutes et être remis en place aussi vite. On peut en remplacer des parties par des fragments de planchers placés actuellement en réserve dans le dessous; au moment nécessaire, ils viendront instantanément prendre la place de celui sur lequel nous sommes à présent. Ces nouveaux planchers peuvent disparaître à leur tour en emportant dix, vingt, cent individus engloutis et recouverts immédiatement par d'autres feuilles de parquet. Le plancher a donc une très-grande importance; les décors en sortent à de certains moments et y rentrent aussi rapidement. [...].

Nos yeux sont maintenant tout à fait habitués au jour douteux qui nous éclaire , si vous levez les yeux, vous pouvez apercevoir, aidé par les quelques ouvertures qui sont dans le comble, ces toiles ressemblant à la grande voile d'un vaisseau avec ses cordages; ce sont les toiles de fond, les bandes d'air, les plafonds, et les fils qui les font mouvoir, objets assez embarrassants, relégués dans le cintre, magasin commode, sans lequel il n'y aurait sur la scène qu'encombrement et confusion.

Mais j'entends du bruit: ce sont les hommes d'équipe et les lampistes; attention!... Il est huit heures du matin, le théâtre s'éveille, les sapeurs se réunissent avant de partir.

Entendez-vous un grincement? c'est l'engrenage du rideau de fer; deux machinistes sont là haut pour «l'appuyer. » Dans le langage du théâtre, on « appuie » un rideau ou une ferme quand on les remonte, et on les «charge » quand on les descend.

Apercevez-vous, dans les profondeurs de la salle, deux ou trois ombres munies de lanterne? C'est une escouade de balayeurs chargés de faire la toilette de la salle et de retrouver les objets oubliés ou perdus par les spectateurs de la veille.

Voici tous nos machinistes arrivés. Prenez garde! on envoie un fil du cintre pour y suspendre « une lampe à quatre. » Nous sommes éclairés comme pour une répétition.

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