vendredi 30 novembre 2012

Quand il n'y a plus que la décoration qui compte...

Caricature de Gustave Planche, par Benjamin

Dans la catégorie «voici ce qu'on retient du théâtre» (qui vaut autant pour le public que pour les critiques et chroniqueurs culturels) - une catégorie fétiche de ce blogue, il va sans dire! - il est possible de trouver, dans un passé quand même bien assumé!, des échos de nos récriminations actuelles. 

La preuve a maintes fois été démontrée... et le sera de nouveau ce matin, avec ce petit extrait écrit par Gustave Planche (sa biographie wikipédienne étant en lien ici même), un autre de ces sévères critiques français, le 1er décembre 1834 (pour la Revue des Deux Mondes):

La salle entière a les yeux tournés sur la décoration. Chacun donne son avis sur l'exactitude archéologique d'une chambre sculptée ou d'une porte damassée, puis, quand les yeux sont las de parcourir les panneaux et les meubles de l'appartement, l'aristocratie des loges consent à s'occuper des acteurs, mais ce n'est pas encore à l'homme que s'adresse l'attention, c'est au costume seulement. Que dire des acteurs? Juger l'habileté, le bonheur ou la puissance de leurs études? Mais comment? Il faudrait avoir entendu le rôle entier pour estimer la difficulté de l'entreprise. Il ne reste plus aux beaux esprits de la salle qu'un seul parti auquel ils se résignent. Ils parlent de l'acteur comme d'un cheval de course; le timbre et le volume de la voix, le frémissement des membres, la pâleur du visage, l'ardeur fébrile de la prunelle, la décomposition des traits fournissent à leur dédain babillard l'occasion d'un triomphe éclatant. Le rideau tombe, la pièce est jouée, la foule se disperse, oublie avant de s'endormir ce qu'elle a vu et se réveille le lendemain en demandant un nouveau spectacle.

La situation a-t-elle tant évolué depuis ces quelque cent soixante-dix-huit ans? Y a-t-il eu amélioration ou, au contraire, la chose s'est-elle détériorée? Difficile à dire...

jeudi 22 novembre 2012

«Petites morts et autres contrariétés» [Carnet de production]


Depuis les dernières semaines, les choses se sont bousculées dans la Salle du Facteur-Culturel. Le rythme s'est accéléré et les heures se sont envolées sans que nous ne les ayons vues passer...

Entre les dernières répétitions et les premiers enchaînements, entre l'entrée du son et de l'éclairage, entre les décors et les costumes, l'énergie s'est déployées comme elle a pu.

Et voilà. Ça y est. Ce soir sera la première de cette production...


dimanche 4 novembre 2012

Dans la fournaise de Babylone

Mosaïque datant du IXe siècle représentant saint Jean Chrysostome

Les charmants Pères de l'Église ont toujours eu - et c'est là tout mon plaisir! - une profonde aversion pour la chose théâtrale. Les épithètes, les métaphores, les comparaisons ne sont jamais assez fortes pour décrier ce mal... À un point tel que saint Jean Chrysostome (lien vers la page Wikipédia), à la fin du IVe siècle, en parlait en ces termes joliment forgés: l'école de la volupté, le collège de l'incontinence, le siège de pestilence... mais mon expression préférée demeure la fournaise de Babylone

De cet homme, d'ailleurs, coule une intarissable source de fiel et de haine pour le théâtre qu'il est toujours intéressant de lire:

Les Théâtres sont l'école de la débauche, de l'incontinence, la chaire de pestilence: vous y voyez des femmes débauchées représenter, prononcer des blasphèmes. Avec quels yeux regarderez-vous au sortir du Théâtre votre femme, vos enfants, vos domestiques? Quel mal, dites-vous, y a-t-il d'aller à la Comédie? Cela mérite-t-il de séparer une personne de la Communion? Et moi, je vous demande s'il peut y avoir un crime plus grand que de s'approcher de la sainte Table après s'être souillé d'un adultère? Oui, c'est une espèce d'adultère d'aller à la Comédie. Et si vous ne voulez pas m'en croire, écoutez les paroles de celui qui doit juger de notre vie. Jésus-Christ nous dit que celui qui voit une femme d'un œil de convoitise, commet un adultère: que doit-on dire de ceux qui vont exprès dans des lieux où ils passent le temps à regarder des femmes qui n'ont pas une bonne réputation? Avec quel front soutiendront-ils qu'ils ne les ont pas regardées avec des yeux de concupiscence? d'autant plus que l'on entend dans les spectacles des paroles lascives, on y voit des actions déshonnêtes, on y entend des chansons d'amour, et des voix qui excitent des passions honteuses. On y voit des femmes fardées, parées, ajustées pour inspirer de l'amour. Les instruments de musique et les concerts et les airs ne sont pas moins dangereux; ils flattent nos sens, ils amollissent le cœur et le préparent à tomber dans les pièges qui leur sont dressés par des femmes perdues. Comment des hommes qui sont pleins de mauvaises pensées, qui sont attaqués continuellement par les yeux, par les oreilles, pourront-ils vaincre les mouvements de la concupiscence? Et si cela est impossible, comment pourront-ils s'excuser du crime d'adultère? Et s'ils sont adultères? comment osent-ils entrer dans l'Eglise et participer à la sainte Table sans avoir fait pénitence?

[...] N'est-ce pas là un étrange dérèglement de vie? Et n'est-ce pas là la source de la corruption des mariages, des mésintelligences et des dissensions des familles? Car il est très certain que lorsqu'en sortant de ces spectacles dangereux, vous rentrez dans votre maison avec un esprit rempli de toutes ces images impures, la vue de votre femme ne vous est plus si agréable.

[...] Comment donc espérez-vous de demeurer chastes si après que le Diable a enivré votre âme et qu'il a obscurci toute votre raison? Car c'est là qu'il vous fait voir tout ce que le vice a de plus honteux, la corruption des femmes, des hommes et des jeunes gens. — Quoi, me direz-vous! voulez-vous que nous fermions le Théâtre pour jamais et que nous renversions tout pour vous obéir? Tout est déjà renversé, mes Frères car d'où viennent tous ces pièges que l'on tend tous les jours à la chasteté des mariages,  sinon de ces représentations honteuses? [...] Quoi donc, me direz-vous , renversons-nous les lois en détruisant le Théâtre qu'elles autorisent? Quand vous aurez détruit le Théâtre, vous n'aurez pas renversé les lois, mais le règne de l'iniquité et du vice; car le Théâtre est la peste des villes. C'est de là que naissent tous les désordres. Ceux qui en sont la cause, sont ceux qui sont accoutumés à cette vie de Théâtre, qui vendent leurs voix pour avoir de quoi vivre, qui n'ont point d'autre occupation ni d'autre étude que de dire et de faire des folies, tous ces jeunes gens accoutumés à l'oisiveté et à cette vie de divertissement et de plaisir.

C'était un autre beau moment de littérature dramatico-religieuse... À cette époque, il faut le rappeler, le théâtre romain était en pleine décadence (si ce n'était pas encore terminé...)... avant que de ne ressurgir en force avec les mystère et les farces du Moyen-Âge...


samedi 3 novembre 2012

«Petites morts et autres contrariétés» [Carnet de production]


La production Petites morts et autres contrariétés entre dans une autre phase, maintenant que tous les tableaux sont placés (ou plutôt, que chaque tableau a maintenant un canevas qu'il faut maintenant développer et peaufiner). Cinq créateurs, cinq esthétiques? Entre le jeu choral et la pièce de genre, la recherche cinématographique et la recherche d’atmosphère, le jeu naturel et un jeu plus mécanique, l'ensemble prend définitivement forme... Et si de cette succession de visions théâtrales et de façons d'aborder la scène (amplifiée par le fait que les metteurs en scène sont aussi les interprètes) émergeait une surprenante unité?

À compter de la semaine prochaine, théoriquement, s'entameront les laborieux enchaînements... laborieux jusqu'à ce que le principe soit bien intégré, fonctionnel... que la mécanique soit bien huilée!

Mais auparavant, aujourd'hui, c'est l'entrée en scène de la technique. Une entrée encore bien secondaire alors qu'il s'agira de son installation purement et simplement. Encore quelques jour avant que la scénographie, les costumes, le son et la lumière ne s'associent pour faire prendre la mayonnaise!

Bientôt, ce sera déjà le dernier droit... et il me reste encore tant à faire!


vendredi 2 novembre 2012

Ce qu'est le drame... ou n'est pas!


Dans l'histoire du théâtre, l’avènement du drame dans la première moitié du XIXième siècle se vécut comme une véritable révolution. Avec l'apparition de ce nouveau genre, il en était fait de la chape imposée par la règle classique (entendre ici la règle des trois unités telle que versifiée par Boileau: Quand un jour, un lieu, un seul fait accompli / Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli). Aux côtés (et même contre!) de la tragédie et de la comédie, l'on recherchera désormais le grand et le vrai (j'avoue pourtant que ce n'est pas mon époque favorite...).

Voici comment Victor Hugo, de toute sa plume poétique, le définit... et du même coup, en quelque mots, il dresse le portrait de plusieurs siècles de théâtre!

Il [note: le poète dramatique... dans ce cas-ci, il s'agit de lui-même!] l'a déjà dit ailleurs, le drame comme il le sent, le drame comme il voudrait le voir créer par un homme de génie, le drame selon le dix-neuvième siècle, ce n'est pas la tragi-comédie hautaine, démesurée, espagnole et sublime de Corneille; ce n'est pas la tragédie abstraite, amoureuse, idéale et discrètement élégiaque de Racine; ce n'est pas la comédie profonde, sagace, pénétrante, mais trop impitoyablement ironique de Molière; ce n'est pas la tragédie à intention philosophique de Voltaire; ce n'est pas la comédie à action révolutionnaire de Beaumarchais; ce n'est pas plus que tout cela; mais c'est tout cela à la fois; ou, pour mieux dire, ce n'est rien de tout cela. Ce n'est pas, comme chez ces grands hommes, un seul côté des choses systématiquement et perpétuellement mis en lumière, c'est tout regardé à la fois sous toutes les faces. S'il y avait un homme aujourd'hui qui pût réaliser le drame comme nous le comprenons, ce drame, ce serait le cœur humain, la tête humaine, la passion humaine, la volonté humaine; ce serait le passé ressuscité au profit du présent; ce serait l'histoire que nos pères ont faite confrontée avec l'histoire que nous faisons; ce serait le mélange, sur scène, de tout ce qui est mêlé dans la vie; ce serait une émeute là et une causerie d'amour ici, et dans la causerie d'amour une leçon pour le peuple, et dans l'émeute un cri pour le cœur; ce serait le rire, ce seraient les larmes; ce serait le bien, le mal, le haut, le bas, la fatalité, la providence, le génie, le hasard, la société, le monde, la nature, la vie; et au-dessus de tout cela on sentirait planer quelque chose de grand.

C'est ainsi qu'est dressé, en 1833, dans la préface de Marie Tudor, le programme de tout ce courant... Y seront-ils arrivés?