mardi 5 avril 2011

Souvenir


En fouillant dans mon ordinateur, je viens de tomber sur un de mes textes personnels préféré, soit Le choeur du pendu - comédie grotesque et pathétique en prose et en pièces détachées variant inlassablement sur le même thème (écrite au début des années 2000 avec la collaboration de Georges-Nicolas Tremblay). Une longue pièce. Avec, il me semble, de beaux personnages... dont le Croque-mort qui a été personnifié par Pierre Tremblay dans la version scénique présentée par le Théâtre 100 Masques à l'automne 2003. Je crois qu'il me faudrait la retravailler un peu pour lui redonner une seconde vie...

Un texte construit sur le principe du choeur (d'où le titre) qui fait s'alterner des monologues entrecoupés de huit personnages différents: le Pendu, l'Épouse, la Mère, le Prêtre, la Voisine, l'Autorité morale, le Crieur et, comme je le disais, le Croque-mort...

LE CROQUE MORT - Allons allons. Laissons de côté farces et facéties de mauvais goût et passons aux choses sérieuses. J’ai un métier à user…

Maintenant que le temps d’exposition réglementaire est terminé et que le fumet désagréable de cette chair stagnante s’incruste dans les moindres replis des murs de nos corps et de nos respirations qu’on apporte ici la voûte fabriquée à la hâte par les blanches mains ferrailleuses du ferronnier.

Dès lors je supervisai le bon déroulement des opérations du haut de mon savoir faire à commencer par la mise en boîte du cadavre défraîchi. Affectant chacun des convives à l’une de ses extrémités nous le soulevâmes avec mille précautions nous gardant bien de nous entacher avec les émulsions multiples qui semblaient dévaler de ses rondeurs et nous commençâmes à nous déplacer ainsi telle une colonie de fourmis transportant nourriture afin de le déposer dans dernier lit tout de fer et de satin construit. Quand à mi-chemin un déchirement rebutant se fit entendre et le torse sinistre se détachant de ses membres s’effondra sur le sol à notre plus grande stupéfaction qui se mua bientôt en éclat de rire collectif alors que quelques uns d’entre nous fîmes danser sur le parquet des couples incongrus composés d’une jambe et d’un bras.

Voyant le temps défiler à la hâte nous jetâmes les morceaux épars dans le cercueil et tentâmes de reconstituer fidèlement le trépassé. Aux dires de plusieurs le collage l’emportait de beaucoup sur la réalité et peut-être même mieux.

Pour un nouveau rapport au texte...


Dans une bonne partie des pièces de théâtre contemporaines (de ces nouvelles écritures dramatiques qui redéfinissent le genre et le poussent vers un postmodernisme - ou postdramatique?- radical), il faut redéfinir un nouveau rapport au texte. Une nouvelle façon de l'aborder, de le concevoir, de le toucher.

C'est ce à quoi mon équipe et moi nous attardons dans le cadre de mes recherches doctorales, prenant, comme source, les écrits de Vsevolod Meyerhold.

Voici un texte de Patrice Pavis (enfin, des extraits), qui dresse un portrait du sujet d'une façon claire et précise. Ce texte est paru dans Le Théâtre Contemporain.

Dans la plupart de nos pièces [nda: les pièces à l'études dans l'ouvrage cité plus haut], l'acteur n'a pas à incarner un personnage, il ne reconstitue pas une situation. C'est un filtre, un aiguilleur, un intermédiaire pour les éléments qu'il choisit ou non de faire passer du texte vers la scène. Du texte, il nous donne à entendre ce qu'il veut, et non une totalité cohérente. La pratique de ces textes dramatiques et le mode de jeu qui en résulte réclament un type nouveau de travail de l'acteur, et ce pour l'ensemble de nos pièces, avec bien sûr des nuances selon les cas.

À la place de l'acteur incarnant et caractérisant son personnage ou de l'acteur s'en distanciant selon la technique meyerholdienne ou brechtienne, on a désormais besoin d'un acteur-dramaturge participant aux choix et aux changements dramaturgiques [nda: donc, d'un acteur-performatif...]. [...] Il se situe à l'interface du texte dit et de la scène jouée et lorsqu'il bouge sur scène, c'est aussi le texte [...] qui bouge avec lui, qui se constitue et se solidifie. Tout déplacement «dit», éoqué par le personnage, et imaginé par le spectateur, implique un déplacement fait. Très vite, le spectateur ne saura plus distinguer ce qu'il voit de ce qu'il imagine; il «voit» le texte, sur la page comme sur la scène. [...] L'acteur, autant que le lecteur ou le spectateur, suit le mouvement du texte, sa syntaxe et sa rhétorique, sa facture rythmique et musicale. C'est le meilleur moyen d'en saisir l'articulation logique et donc le sens. De quoi cet acteur-dramaturge a-t-il le plus besoin? D'un corps capable de lenteur, d'endurance, de virtuosité, mais aussi de retenue, bref, d'un corps anti-naturaliste [nda: tout comme d'une voix anti-naturaliste!], car il y a toujours un écart entre le corps de l'acteur et son texte.

[...] C'est à l'acteur que revient essentiellement la mission d'«ouvrir» le texte. En plus de consentir à jouer un personnage, il joue à faire l'acteur, nous le voyons fabriquer pour nous et devant nous son jeu, se situer en tant qu'énonciateur par rapport à un texte qui ne disparaît pas dans la fiction, mais reste visible et audible comme un corps étranger.

Il est toujours étonnant de trouver les mots juste venus d'ailleurs pour exprimer ses propres intentions... et c'est aussi angoissant, dans un cadre doctoral où il faut apporter quelque chose de nouveau à la discipline, de se rendre compte que tout a été dit (enfin, presque!)...