samedi 12 mars 2011

Lecture formelle


Pour trouver ce qui pourrait faire office de «position neutre» dans l'exécution du texte, rien de mieux que commencer par une lecture strictement formelle s'attardant sur le vocabulaire (sa sonorité, ses syllabes), la syntaxe (les liaisons), le rythme et la ponctuation.

Simple en apparence, l'exercice prend des proportions de véritable défi, pointant là une faiblesse de beaucoup d'interprètes qui prennent la lecture pour acquis. Les écueils se multiplient au gré de la lecture et le sens s'y perd. Qu'est-ce qui est demandé? Une lecture précise, avec l'intégralité des syllabes, des liaisons, des ponctuations et du souffle de la phrase, aussi longue soit-elle... Et c'est là qu'on s'aperçoit de la paresse de notre propre lecture...

La forme même est trop souvent éludée alors que c'est elle qui doit devenir le support de la théâtralité et de la performativité du comédien.

Spontanément, l'acteur cherche à interpréter dès le départ alors que ce qui prime, c'est l'établissement d'un canevas rythmique. Nous retournons donc à la base (et c'est fort complexe!): guide de prononciation, de phonétique, de déclamation, de français normatif... auxquels nous ajouterons les principes Meyerhold. Enfin, la structure même du texte (sa mise en page) sera explorée pour voir comment elle influe sur la lecture.

L'entraînement devient vite nécessaire afin d'acquérir une capacité de lecture à vue efficace et dynamique, codée de façon à pouvoir interagir avec l'autre. Un travail rigoureux qui demande une conscience amplifiée et une virtuosité vocale et littéraire sans faille.

Quand le volet lecture sera complété, nous pourrons passer à du travail d'interprétation...


La Visite [Carnet de mise en scène]

Je réfléchis beaucoup, depuis quelques jours, aux maquillages requis pour la production en cours... et voici les constatations:

il faut des maquillages qui ne distinguent pas les hommes des femmes... qui uniformisent le fait que des hommes jouent des femmes et vice-versa;

en ce sens, il faut des maquillages neutres, unisexes qui pourtant, devront rehausser le caractère formel des personnages (et se lier aux décors, costumes, jeu)... bref, il faut des maquillages surprenants;

compte tenu du fait qu'il fait très chaud dans les costumes et que l'arrivée de l'éclairage amplifiera cette chaleur (surtout sur le petit espace); compte tenu que les comédiens courent en coulisse et n'auront pas le temps de faire des retouches et de le changer d'une scène à l'autre, il faut des maquillages léger et pourtant marqués accentuant principalement les yeux et la bouche, siège de l'expression faciale.

Devant ces constatations, deux options s'offrent à nous:

1- ou bien nous effaçons toutes les lignes du visage pour obtenir des espèces de masques neutres un peu comme sur l'image suivante:


danseurs de butô

2 - ou bien nous laissons le visage relativement naturel mais sur lequel nous délimitons avec emphase et les yeux et les sourcils (option que je retiens personnellement) comme sur les images suivantes:



À ce chapitre, voici quelques mots de Patrice Pavis dans l'excellent et nécessaire ouvrage L'Analyse des spectacles, publié en 1996 aux Éditions Nathan.

[...] Dès lors qu'il n'obéit plus à une banale tâche de soulignement et confirmation des traits vraisemblables et réalistes du personnage, le maquillage forme un système esthétique qui n'obéit qu'à ses propres règles. [...] Souvent le maquillage devient, dans la mise en scène contemporaine, beaucoup plus qu'un déguisement ou un soulignement des traits existants: c'est un vertige qui bloque toute interprétation assurée et toute métamorphose définitive.

Voilà une belle description de sa fonction...