samedi 15 janvier 2011

Les monstres de l'orgueil

et
Sarah Bernard et Julia Bartet, en costumes de scène

Il me plaît toujours de lire des textes portant sur le théâtre du début du XXième siècle, de ce théâtre fait par les grands monstres telles ces deux femmes ennemies qui ont régné sur les scènes pendant des décennies: Sarah Bernard et Julia Bartet... désignées respectivement comme étant l'une l'impératrice et l'autre, la reine du théâtre...

Il me plaît d'imaginer ce monde ampoulé, surrané qui se donne à voir, à jouer. Un monde faux et pourtant si intense. Un monde où l'ego prend le pas sur les personnages, sur les drames!

Il me plaît de penser à ces joutes cruelles entre ces interprètes plus grandes que nature... comme en fait foi ce petit passage tiré de Gens de théâtre de Michel George-Michel, publié en 1942:

Sa bête noire
[en parlant de Bernhardt] était Julia Bartet, qui lui avait succédé au Français.

- Alors, elle a du succès? demandait-elle quand un imprudent avait prononcé ce nom.

- Oh! Madame, disait le gaffeur, plus de mille personnes l'attendaient à la porte des coulisses.

- Pourquoi faire?... Pour la tuer?... ripostait froidement Sarah.

Un soir qu'elles devaient interpréter toutes deux La Nuit de Mai, de Musset, on lui demanda de choisir son rôle.

- Le poète, bien entendu.

- Mais, Madame Sarah Bernhardt, nos pensions que vous auriez choisi la Muse. Le Poète a quelques vers à dire, à peine...

- Bah! On dit toujours que je suis rosse avec Bartet. Je veux montrer que je lui laisse le beau rôle...

Elle savait ce qu'elle faisait Elle savait Bartet courte de souffle et «l'attendait» aux longues tirades de La Nuit.

Aussi bien, penchée avec amour auprès d'elle, aussitôt qu'elle sentit Bartet se fatiguer, Sarah, sans quitter son sourire angélique murmura:

- Hue! Hue!... Monte la côte!... Hue! Hue!... Monte la côte!

Puis, son tour venu , elle déclamait, d'une voix de rêve, regardant sa compagne avec des yeux de ciel:

Est-ce toi dont la voix m'appelle
Ô ma pau-vre Muse, est-ce toi?...

Ô la légèreté avec laquelle Sarah Bernhardt posait sa main sur l'épaule de Julia Bartet en disant «Ma pô-vre Muse!...» Mais elle pesait de tout son poids.

Et l'autre, reprenant une nouvelle tirade, Sarah reprenait à voix basse, comme d'une mélopée:

-Hue!... Hue!... Monte la côte!...

Un soir où elle se trouvait dans l'avant-scène de la Comédie-Française et que Bartet jouait, Sarah, durant presque toute la représentation, applaudissant tout bas, disait tout haut:

- Mais elle est finie, cette pauvre femme, elle n'en peut plus. Pourquoi la fait-on jouer encore. Mais il faut la tuer!... Vite chez l'équarisseur!... Et regardez, elle a des cordes, au cou. Que dis-je, des cordes, des câbles!... Il faut les lui arracher et la pendre avec eux.

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