jeudi 4 novembre 2010

Faire, défaire et refaire...


Si je dis aujourd'hui à l'acteur: «Bien»,
cela ne signifie pas du tout que je serai content de lui le lendemain quand il reprendra le passage de la même façon.

Meyerhold

J'aime bien cette citation... et j'aime bien le droit qu'elle donne au metteur en scène d'évoluer, de revenir sur son travail, de prendre du recul pour faire des ajustements... et elle dit bien la situation qui mène souvent le comédien (et les concepteurs) à dire: «Ben voyons... je ne te suis pas... c'est toi qui m'a dit de faire comme ça hier!»...



Soudain l'été dernier... quelques mots

Maude Cournoyer, Lucille Perron et Martin Giguère
Soudain l'été dernier, Les Têtes Heureuses, 2010
Photographie: Les Têtes Heureuses (Geneviève Mercier-Bilodeau)

Soudain l'été dernier des Têtes Heureuses a de quoi troubler les esprits: dans cette pièce terrible, on s'y joue les uns des autres pour atteindre son but, pour imposer sa vérité. Mais plus encore, on lui cherche un sens qui prend le visage d'un Dieu enragé et cannibale, prêt à déchirer le ventre de ses victimes pour y arracher les entrailles et les avaler jusqu'au néant... Le malaise est profond...

Avec cette production, le metteur en scène Rodrigue Villeneuve reste fidèle à son style, tant dans la forme que dans la couleur (une exigence formelle assumée!), avec une solide direction d’acteur ponctuée d’obsessions fugaces qui font sa marque - des cigarettes à fumer, des souliers à enlever, des poses sur une chaise. La maîtrise est grande... et généralement bien transmise à son équipe.

Encore une fois, l'espace (une terrasse magnifique conçue par Michel Gauthier) fait preuve de sobriété: constitué principalement d’un plancher et d’un corridor blancs dénués d’accessoires (si ce n'est d'une lampe et d'une immense photographie d'enfant), il est destiné à prendre vie sous les lumineux effets d’éclairages d’Alexandre Nadeau (une luminosité qui contraste de façon éblouissante avec la noirceur des êtres)... On y retrouve là -et facilement!- les préoccupations esthétiques du metteur en scène et, du coup, la ligne directrice des décors des productions antérieures: lignes simples et épuration. On pourrait presque dire variations sur un même thème. Une recherche de perfection scénique...

Outre les concepteurs nommés précédemment, il faut aussi noter la conception sonore de Patrice Leblanc et les costumes de Yasmina Giguère.

Oui, un travail rigoureux... pour une mise en scène somme toute assez traditionnelle qui va droit au but et qui laisse toute l’écrasante place aux comédiens. Car écrasant est ce récit qui broie littéralement les personnages...

Deux voix s’élèvent parmi les six interprètes qui peuplent ce monde scénique. Celle de Lucille Perron, puissamment mélodique (et avec sa sonorité qu'on ne retrouve plus dans le milieu théâtral régional), réussit à faire résonner l’illusion bornée et acharnée de la femme meurtrie par la perte de son fils mais, plus encore, la perte de sa jeunesse. Celle, enfin, de Maude Cournoyer, qui lui fait écho, d’une frappante justesse dans le staccato fébrile et nerveux de la terrifiante vérité. Ce sont elles qui laissent des traces dans l’imaginaire du spectateur… car entre ces deux femmes qui ont tant à dire et à cracher, les autres personnages ne peuvent que jouer le rôle parfois ingrat de faire-valoir.

Une production à voir... et il ne reste plus que quelques jours!
_______________________________________

Voici quelques billets publiés à ce sujet:
Soudain l'été dernier: coup de théâtre, coup de coeur (Spécial du jour)
Soudain l'été dernier des Têtes Heureuses (Jack aime/Jack n'aime pas)
Intenses émotions aux Têtes Heureuses (Progrès-Dimanche, 31 oct. 2010)