mardi 25 mai 2010

La Défonce [Carnet de notes]

Affiche de la production belge

Je voulais parler d'un truc qui m'est complètement sorti de la tête jusqu'à aujourd'hui (revenu grâce à un courriel de Réjean Gauthier).

Présentement, au moment même où nous songeons à peut-être aller jouer La Défonce en France (à Orsay, plus précisément... mais j'y reviendrai subséquemment...), la véritable création mondiale de ce texte* de Chevarie se fait en Belgique, à l'Atelier 210. La première a eu lieu le 18 mai dernier.

Voici une critique (et une photographie) parue dans La Libre Belgique, édition du 21 mai 2010:

L’horreur à rebours
Camille Perotti

Le Zut frappe fort avec “La défonce” de Pascal Chevarie à l’Atelier 210. Une mise en scène de Jasmina Douieb, le dernier spectacle de la compagnie.

Clôturant le cycle Québec du Zone Urbaine Théâtre, "La défonce" de Pascal Chevarie est un spectacle percutant; on en ressort comme après avoir assisté malgré soi à une violente bagarre. Jasmina Douieb, lauréate du prix Jacques Huisman 2009, signe la mise en scène de cette pièce à la langue québécoise que l’on reconnaît à sa rugosité et ses mots emprunts à la fois de modernité et de lyrisme.

L’intrigue n’a rien de suave : trois hommes qui décident de "faire la défonce" emportent des packs de bière dans leur camionnette et s’embarquent dans la forêt pour se saouler, pour s’oublier une nuit, comme ils le font souvent entre copains. Extrêmes, emportés dans leur rage, ils semblent décalés avec la réalité. Sur leur chemin, ils tombent sur une fille, "la vache" comme ils l’appellent, un peu gothique, très rock’n’roll. Jay est amoureux et lui demande sans cesse si ses sentiments sont réciproques, elle répond par la négative pour la dixième fois mais se laisse convaincre par le trio infernal d’aller boire un verre avec eux. Puis la virée dérape, s’échappe, comme la terre qui leur file entre les doigts.

C’est à rebours que ces quatre-là racontent ce qui s’est passé, avec leurs mots qui se précipitent, la colère qui monte et l’affolement puis la culpabilité croissante. Georges Lini, directeur artistique du ZUT, interprète Didi, le petit frère paumé et apeuré mais qui n’oublie pas de prendre les devants, Toni D’Antonio est Jay celui qui en pinçait pour "la vache" et qui redescend le plus rapidement sur terre tandis que Fred, le troisième compère, incarné par Nicolas Ossowski, semble mener ses "frères" et les influencer avec machiavélisme. Tous trois forment un trio de plus en plus effrayant à mesure de leur récit qui les confronte à la réalité des faits et du témoignage de la fille -Catherine Grosjean qui fait sien le rythme de la langue de Pascal Chevarie.

Dans "La défonce", Jasmina Douieb met en exergue la violence contenue et l’angoisse latente. La scénographie d’Agathe Mallaisé soulignée par les lumières de Benoît Lavalard suggère la forêt avec ses longues bandes verticales en plastique sali disséminées dans toute la salle ainsi que l’horreur du dérapage avec un grand bac de terre, tel une tombe. Grâce à un dispositif trifrontal, le public installé tout près des comédiens et sur la scène est entraîné en même temps que "la vache" par le trio masculin dans l’opacité de la nuit.

"La défonce", thriller rythmé et intense, est une descente aux enfers à rebours qui atteint son paroxysme lorsque les hommes se trouvent, à la lumière du jour, face à leur conscience, et trouvent dans le regard du vieillard qui a tout vu, le miroir de leur faute. Un spectacle incisif et percutant qui reste en mémoire, à l’image de la compagnie qui tire sa révérence.

Pour ceux qui ont vu la production du Mic Mac au cours du mois d'avril, cette description peut avoir un air de déjà-vu... Moi-même qui ai fait la mise en scène à Roberval, je pourrais croire que ce texte a été écrit par quelqu'un qui est sorti de la salle Lionel-Villeneuve tant la concordance est frappante!
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* le Mic Mac en a fait la création québécoise, son statut de troupe amateure ne lui permettant pas d'avoir l'honneur de la création mondiale... à ce que j'en ai compris.



De l'engagement sociétal de l'artiste


Autre passage de l'intransigeant, sévère mais ô combien intéressant Jean Vilar, pour qui le théâtre rime nécessairement avec plénitude et authenticité (passage tiré du même ouvrage que celui cité dans le billet précédent):

[Devant la désaffection du public pour le théâtre, devant la désuétude trop souvent consommée du théâtre] tenterons-nous de croire à quelque répétition générale exceptionnelle? Hanterons-nous les travées des fauteuils d'orchestre avec le sourire las du critique? Nous en tiendrons-nous au répertoire de nos maîtres anciens, de Jean Racine, de Corneille, de Molière? Un homme de théâtre contemporain est-il condamné à n'être autre chose que le conservateur des chefs-d'oeuvre du passé? Que faire? Abandonnerons-nous le théâtre, art inactuel? À toutes ces questions, dites ou sous-entendues, il n'est je crois, qu'une réponse et la seule valable. Cette réponse n'est pas du domaine artistique.

Il s'agit donc de faire une société, après quoi nous ferons peut-être du bon théâtre.