samedi 14 novembre 2009

L'expérience catatonique du C.R.I.

Photographie extraite du site de la compagnie.

Pendant la représentation de Catatonie II présentée par le Théâtre C.R.I., m'est revenu en mémoire un article paru dans l'Annuaire théâtral (no.37) portant sur le travail de Castelluci, l'un des porte-étendards (Italien) du théâtre contemporain et titré Le théâtre ou l'exhibition du monstre. La mise en scène des corps stigmatisés [...] (rédigé par Bénédicte Boisson).

Dans cet article, on y mentionne que le travaille de ce praticien passe par une remise en question radicale de la représentation du corps; une remise en question du jeu de l'acteur; une remise en question de sa présence scénique et une volonté de créer une «commotion sensorielle». En d'autres termes, son travail de metteur en scène passe par une réduction de l'acteur à un élément de composition d'un tableau.

Le travaille de Guylaine Rivard dans la production actuelle du C.R.I. procède de ces mêmes préoccupations, plaçant trois de ses quatre comédiens dans un état catatonique remarquable qui opère une véritable désindividualisation qui réussit, à de nombreuses reprises, à créer un malaise pour le spectateur qui les observe.

Une oeuvre où le corps n'est donc plus là pour imiter une réalité extérieure au théâtre, le contenu du texte n'est pas représenté, c'est sa structure essentielle qui est imagée à travers les corps.

Dans ce petit réduit construit par Stéphan Bernier (et proche des considérations esthétiques de la compagnie), on assiste d'emblée à l'emprisonnement dans un fade quotidien du personnage principal, Grâce, incarné par Émilie Gilbert-Gagnon... un personnage au corps lui aussi stigmatisé par la lourdeur de la solitude, de l'abrutissement, de l'absence de l'autre, d'une déficience de stimulation. Un personnage délimité par des gestes réalistes et un texte réduit à quelques mots... et ce personnage qui vient dire ces mots et qui se montre («monstrare» en latin) pour les dire quitte forcément le régime de la normalité (Tackels, 1999).

Et ici débute le paradoxe sur lequel se construira l'action: pour combler ce vide, elle séquestre trois êtres catatoniques, trois coquilles vidées de leur substance. Ces corps monstrueux (par leur statut particulier et leur état de non-conformité) vraisemblables (habités de façon spectaculaire par Dany Lefrançois, Martin Gagnon et Vicky Côté) créent une imposante présence par l'absence de présence. Pour l'acteur, il ne s'agit plus alors de jouer mais d'être en scène, de vivre la contrainte de la scène et de s'exhiber. [...] Le théâtre est un lieu d'exhibition et plus il exploite cette réalité, plus il a de chances de proposer aux spectateurs une véritable expérience. Expérience violente, et parfois douloureuse, où les corps deviennent théâtre en puissance. Et nous revoilà proche aussi des préoccupations du C.R.I. dans la manipulation de l'objet, de la marionnette. Car oui, les trois catatoniques de ce spectacle pourraient porter le titre de marionnettes.

Outre ces considérations d'ordre théoriques, Catatonie II demeure un spectacle exigeant pour le spectateur... un spectacle troublant sur l'impuissance, sur le corps inutile, sur le silence comme parole. Une production dense qui n'a, de confrontation(s), que la limite et la tolérance du spectateur.
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La représentation d'hier soir a donné lieu à un moment particulièrement curieux... Bouleversement? Choc? Gêne? Timidité? Malaise? Toujours est-il qu'à la toute fin de ce spectacle, après le black final, la dizine de spectateurs que nous étions sommes restés dans le noir, immobiles, silencieux... de longues secondes (bien que je serais porté à le croire, je n'ose écrire minutes). Un moment de communion forcé déstabilisant...