mardi 2 juin 2009

Quand le Diable chausse les brodequins aux comédiens...


De tout temps - du moins en ce qui concerne l'ère chrétienne! -, le théâtre a été malmené et décrié par l'Église et les églises (et ce, jusqu'à la seconde moitié du XXième siècle)... que ce soit pour la vie dissolue des ses comédiens, pour la dépravation de la scène, pour le principe de revêtir l'autre.

L'un des premiers à avoir vitupéré contre cet art, Quintus Septimus Florens Tertullianus, dit Tertullien, y va, dans son traité de morale Contre les spectacles rédigé entre 197 et 202 (rapporté ici dans une traduction moderne trouvé dans le recueil d'Odette Aslan, L'art du théâtre), d'une charge à fond de train qui fait beau à voir de nos jours:

Un Chrétien doit avoir de l'éloignement pour les Spectacles, parce qu'ils sont contraires à la vraie piété, au culte sincère que nous devons à Dieu et à la promesse solennelle faite dans le Baptême de renoncer au Diable, à ses pompes et à ses oeuvres. Les spectacles sont une partie de l'idolâtrie et des pompes du Démon, auxquelles les Chrétiens renoncent dans leur Baptême. Outre cette principale raison, qui est l'idolâtrie, il y en a une autre: c'est que Dieu a commandé de conserver par la tranquillité et la paix le Saint-Esprit, tendre et délicat de sa nature, et de ne le pas inquiéter par la colère et les criminelles douceurs. Comment donc peut-il s'accorder avec les Spectacles, qui ne sont point sans agitation de l'esprit ou du coeur? Il n'y a point de plaisir sans passion: la passion entraîne l'émulation, la colère, la fureur, et toutes ces suites ne conviennent pas à notre discipline. Si quelqu'un vient au Spectacle sans passion et y demeure sans être touché, il n'y a point de plaisir, et il est coupable au moins de l'inutilité, qui ne nous convient point.

Un autre motif est l'impudicité du Théâtre, où l'on produit en public toutes les infamies qu'ailleurs on cache avec le plus de soin. C'est une absurdité de rechercher avec empressement, dans les Spectacles, ce qui, dans tout le reste de la vie, donnerait de la honte ou de l'horreur. On ne doit point aimer les images de ce que l'on ne doit point faire. Or le Théâtre ne représente que des actions criminelles, de fureur dans la Tragédie, de débauche dans la Comédie. Il est absurde d'estimer un Art, quand on méprise ceux qui l'exercent, jusqu'à les noter dans l'infamie.

La loi de Dieu a prononcé la malédiction contre les Masques, surtout contre les hommes qui prennent des habits de femmes. Ces assemblées sont pleines de périls. Les hommes et les femmes n'y vont, les uns que pour voir, et les autres que pour être vus, et avec une parure extraordinaire. Une femme ayant été au Théâtre, en revint possédée du Démon; et comme, dans l'exorcisme, on reprochait à l'Esprit immonde d'avoir osé attaquer une Fidèle, il répondit hardiment: j'ai eu raison, je l'ai trouvée chez moi.

Quel plaisir pour un Chrétien, que le mépris du monde, la vraie liberté, la pureté de conscience, que de se contenter de peu, et de ne point craindre la mort! Vous foulez aux pieds les Dieux des Gentils, vous chassez les Démons, vous guérissez les maladies, vous vivez à Dieu: voilà les plaisirs, voilà les Spectacles des Chrétiens.


Et après Tertullien vint les autres Pères de l'Église, Bossuet et tous les prêtres en chaires... et le théâtre!