lundi 18 mai 2009

L'enragée



Ô rage! Ô désespoir! Vieillesse ennemie!
Corneille


Hier après-midi, j'ai mis de côté la froideur extérieure pour me réfugier dans la chaleur moite de la Salle Murdock pour assister à la huitième représentation de Rage, la nouvelle production de Vicky Côté... tout comme une dizaine d'autres badauds.

Cette production fait, en quelques sortes, suite aux spectacle antérieurs de cette même artiste: 10 (ou 15?) vies sur tapis rouge, Sôno et Les immondes. Du coup, il est désormais possible de tirer une certaine vision du théâtre, une ligne artistique qui se décline en quelques points: primauté du geste (dans un va-et-vient constant entre la danse et le mime), réduction du texte à l'essentiel, construction dramatique par tableaux, par numéros. Avec Rage, Vicky Côté atteint une maturité scénique, une précision et une force poétique qui fait d'elle une figure importante du théâtre émergent saguenéen.

Le discours

Selon le programme, Rage, c'est chercher à savoir jusqu'où on peut aller. Entre l'immense manque et le trop de trop. Dans le grand vide à combler, on peut perdre le contrôle. Rage, c'est chercher trop, trop loin. C'est vouloir trop, trop fort. Rage, c'est quand une existence se garoche, pour essayer de vivre. Dans un monde où tout doit être excessif, où l'extrême est élevé au rang d'exploit, qu'en est-il de nous? Vraiment. À partir de ce discours se juxtaposera diverses situations, de la solitude littéralement brisée à la détestation de son corps, de la tyrannie de l'image à la violence corporelle, de la relation forcée aux rencontres impromptues et dérangeantes, de la moquerie blessantes aux blessures physiques...

Le spectacle

De là, le spectacle... En une heure et quart, Vicky Côté (en collaboration avec Sara Moisan à la mise en scène) sonde les crevasses cruelles, violentes de l'être humain. Le malaise se transforme en insistance... qui elle-même devient fureur. Un regard posé sur la société actuelle.

Son discours, malgré l'apparente simplicité du propos, devient toutefois difficile à suivre dans ce langage scénique qui devrait se faire (et se fait très souvent!) tout en évocation. Malgré de véritables (et très nombreux!) moments de poésie corporelle, malgré les nombreuses qualités visuelles de ce spectacle, malgré la présence sans faille et la performance de la comédienne, il est quelques fois ardu de comprendre ce qui se passe... On peut par ailleurs regretter, à quelques reprises, ce trop réclamé dans le feuillet de présentation... Peur de l'incompréhension du spectateur? Sentiment de justification? Manque de confiance? Toujours est-il que parfois, les numéros s'étirent en longueur brisant un rythme nécessaire ou s'accompagnent de textes, de rires qui appuient exagérément l'image créée. Cette évocation si poétique (je pense notamment à la scène des talons hauts) s'alourdit et perd un peu de sa puissance. Cette réserve ne constitue pas un défaut et ce spectacle se bonifiera à coup sûr avec le temps.

L'esthétique

Car outre le propos intéressant, Rage s'appuie sur une esthétique fascinante. Un espace carré tout en papier bulle à lequel se conjuguera les accessoires, les toiles, les personnages de plastique, permettent, de par leur transparence, de magnifiques (compte-tenu de l'exiguïté de la salle et son peu d'équipements...) éclairages, signés Jessyka Maltais-Jean. Ce matériau omniprésent permet également au décor de devenir instrument de musique sous les pas, les gestes et le poids de la comédienne. Une multitude de craquements, de petites explosions... comme tout autant de petites flammèches qui finiront par faire éclater la rage du personnage.

On ne peut passer sous silence les costumes (toujours en papier-bulle) de Louise Boudreault... de petites merveilles en soit. Tout au cours du spectacle, le personnage se parera de vêtements qui deviendront peu à peu, à force d'épaisseur, une façon originale de se protéger...

Visuellement, nous voici dans un lieu, dans un monde fragile, à manipuler avec soin. Et c'est ce vers quoi, il me semble, l'artiste tend.
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Vraiment, Rage mérite d'être vu... et je profite de cette occasion pour rappeler qu'il ne reste plus qu'une semaine de représentations, soit de jeudi à vendredi, à 20h et dimanche à 14h. (Dans le billet précédent, vous trouverez les commentaires de Jean-François Caron du Voir et de Daniel Côté du Quotidien.)