vendredi 25 juillet 2008

NONO ou la démarche de Dario

John Taylor Arms (American, 1887-1953).
Le Penseur, Notre Dame, 1923. Etching.

Courriel envoyé par Guylaine Rivard suite à sa présence lors de la septième représentation de Nono:

Il n'y a pas à dire Dario tu es un metteur en scène avec qui je reconnais partager plusieurs affinités. En effet, ton esthétique et ton approche de la mise en scène me rejoignent beaucoup (même si notre perception du travail avec les acteurs se distingue). J'ai eu la chance d'assister à près d'une dizaine de tes mises en scène et à chaque fois, je m'incline reconnaissant la rigueur et l'importance d'un créateur comme toi pour notre milieu. Ton travail m'amène presque toujours à réfléchir sur certains concepts (la biomécanique (Meyerhold), la place du texte dans la création théâtrale, la forme minimaliste, etc.). Tu fais un travail remarquable qui se raffermit d'un projet à l'autre, mais qui à mon avis (comme pour la plupart des créateurs, en l'occurrence moi) aurait avantage à être bousculé afin d'explorer (proposer) d'autres combinaisons possibles se rattachant à ta vision ou ta démarche artistique.

Chapeau pour ta mise en scène de Nono.

Encore une fois tu amènes le public ailleurs. Un théâtre d'été non conforme. J'ai passé un agréable moment c'est certain, mais je crois que j'aurais apprécié davantage si je n'avais pas vu quelques unes de tes productions antérieures. Je salue la force du vocabulaire gestuel de plus en plus défini de ton travail. Une sorte de grammaire personnelle qu'on retrouve d'un projet à l'autre, qui, à mon avis, pourrait aussi devenir un piège pour le metteur en scène que tu es. Surtout si les textes choisis tournent toujours autour des mêmes thèmes (comme ce fut le cas pour Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, Les monstres de l'orgueil et Nono).

J'ai apprécié le spectacle et j'ai pris plaisir à voir évoluer les comédiens. J'adore le style maniériste de l'interprétation (rien à voir avec le jeu réaliste qu'on retrouve généralement), une manière fort judicieuse de peindre les extrêmes autour de la dynamique du couple (passion, drame, violence). Toutefois, j'admets avoir ressenti une certaine irritation quant au dosage de la caricature surtout en première partie.

Curieusement, malgré la forme minimaliste que tu proposes, l'espace scénique devient extrêmement dense avec le jeu des comédiens ou la chorégraphie scénique. Un aspect qui m'a parfois donné une impression de surcharge, comme si tout était ramené au même niveau. Peut-être qu'en dosant certains caractères ou en épurant quelques passages, les moments forts auraient été plus payants pour tous. Personnellement, j'aurais apprécié me faire surprendre davantage par tous ces petits morceaux savoureux que tu proposais, mais qui pourtant ne m'ont pas amenée à m'éclater (et puis je n'étais peut-être pas très réceptive ce soir-là). Voici en gros mes commentaires Dario. J'espère qu'ils n'auront pas une plus grande portée que ce qu'ils valent réellement, car je ne me considère vraiment pas sans failles et contradictions, surtout quand il s'agit d'émettre des idées personnelles sur le travail de mes camarades. Sois sûr de mon plus grand respect Dario. Merci

Voici donc l'espace approprié pour recevoir les commentaires!
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Depuis quelques jours, je me suis replongé dans Le théâtre de la mort de Kantor... et voici quelques extraits qui m'ont carrément sauté aux yeux de par leur concordance avec ce que Guylaine écrit:

LE POIDS DU RADICALISME EN ART (1963)
(tiré du Manifeste du "Théâtre Zéro")

La RUPTURE, même unique, a une influence essentielle sur le DÉVELOPPEMENT de l'art. Elle purifie l'atmosphère des falsifications, des mythes, des alternatives artificielles, des querelles vaines entre tendances et soi-disant solutions. Elle met entre parenthèses l'image du théâtre d'aujourd'hui.

Les nuances stylistiques du théâtre actuel sont assez nombreuses: théâtre pseudo-naturaliste né de la paresse et du confort; théâtre pseudo-expresionniste dont après une authentique déformation de l'expressionisme il n'est resté qu'une grimace gênante, morte, stylisée; théâtre surréalisant qui applique de tristes ornements surréalistes, à la façon des magasins de mode; théâtre qui n'a rien à risquer et peu à dire qui fait preuve de mesure culturelle et d'élégance éclectique; théâtre pseudo-moderne usant de tel ou tel moyen emprunté aux diverses disciplines de l'art contemporain auquel, prétentieusement, il s'accroche par artifice. (p.92)

[...]

L'ÉVOLUTION de l'artiste, si importante pour qu'il puisse garder sa vitalité, n'est pas un PERFECTIONNEMENT de la forme. Le perfectionnement, si apprécié et adoré par l'OPINION conventionnelle, devient avec le temps, une APPARENCE de création et un moyen qui apporte l'approbation, l'acceptation, et à l'artiste lui-même un abri, une paix paresseuse mais aussi le prestige. L'ÉVOLUTION est une adaptation constante de l'artiste à son époque, jusqu'à la fin de ses forces intellectuelles (hélàs!). (p.127)