vendredi 28 mars 2008

Le brigadier

Dany Lefrançois, Guylaine Rivard et le brigadier...
Photographie: Jean-François Caron

En référence au billet de Jean-François Caron de ce matin dans lequel il fait mention du brigadier... ce bâton servant à marquer les trois coups...

Hier, j'ai donné l'une des significations des traditionnels coups de théâtre entendus avant le début d'une représentation (tradition qui s'est perdue). Celles-ci sont aussi nombreuses qu'il y a d'institutions... et le nombre de coups diffèrent tout autant.

L'usage le plus conventionnel du brigadier va comme suit: 11 petits coups rapides suivis de 3 grands. Ils exigent le silence d'une salle qui se faisait bruyante. Selon une histoire plutôt jolie, ils représenteraient ceci... judéo-chrétienté oblige... Les 11 petits coups représenteraient les douze apôtres moins le traître Judas... et les trois grands, la sainte Trinité.

Pour d'autres significations (parfois farfelues comme celle voulant que ces coups aient été, à l'origine, le bruit des pas de Sarah Berhnardt - portant une jambe de bois après son amputation - dans les coulisses), lire Les trois coups de brigadier, par Corinne Durand Degranges. Par la suite, si la curiosité vous tenaille toujours, faites une tour sur Wykipédia sous la rubrique «Onze coups».

Retour sur un moment d'arrêt...


Nous étions quoi? Une cinquantaine? Peut-être plus... peut-être moins...

Avec un autocollant d'identification bien visible... Fébriles, pour la plupart, à l'idée de performer en plein coeur du centre d'achat, parmi les badauds qui se sustentent entre deux assauts boutiquiers.

Premier constat en arrivant sur place: le bruit! Craintes et doutes... Pourrons-nous entendre les signaux... Marchera-ce? Marchera-ce pas? Second constat (toujours lié au premier): re-bruit! Nouvelles craintes, nouveaux doutes... Pourrons-nous nous faire entendre? Et enfin, troisième constat: cet endroit (l'aire de restauration) est déjà un lieu qui, par définition, permet de s'arrêter... par conséquent, l'impact (visuel, social) de la performance n'est-il pas un peu diminué?

Alea jacta est.

Nous nous dispersons alors, autant que faire se peut, tentant de nous fondre (!) dans le paysage humain. Le temps passe...

Et soudain, PAF! Le sac gonflé éclate; il nous faut nous immobiliser.

Cinq longues minutes... 300 secondes... C'est long. Simple en apparence, ce geste nous emplit pourtant d'adrénaline...

Nouveau signal, lecture cacophonique et décalée, par dix personnes d'un texte rendant hommage au théâtre d'ici... Nouveau signal, lecture plutôt réussie, à mon sens, de texte de Robert Lepage par trente personnes...

Ce fut fort agréable... Amusant. Et il est fantastique de noter la solidarité de tout le mileu... Toutes les compagnies, des artisans de toutes les sphères théâtrales, des spectateurs, des étudiants... Faire quelque chose tous ensemble donne de l'espoir... du moins, sur le coup...

C'était NOTRE Moment d'arrêt sur le théâtre.
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Juste avant cette performance, on m'a posé une question que je restitue ici de mémoire (et donc pas nécessairement fidèlement): est-ce que je crois en l'utilité (se faire entendre, marquer le public, le sensibiliser) d'un tel acte? Spontanément, j'ai répondu non. Probablement qu'après, j'aurais répondu la même chose... mais avec plus de nuances... plus de réflexions...

Voici les cinq commenaires reçus pour ce billet (restitués ici à cause du changement de blogue)

marilune a dit…

Tu as piqué ma curiosité!!!

J'aimerais bien savoir quelles sont ces nuances et ces explications!!!

31 mars 2008 15:12

Yoyo a dit…

Ça pourrait marcher... selon le lieu choisi...et selon l'objectif du projet...
Le fait que ce soit du théâtre invisible (ou que les participants se fondent dans la masse) est problématique si on souhaite faire de cet événement un «manifeste», ou un «coup d'éclat», ou un «soulignement» pour le théâtre... Les spectateurs obligés ne voient que des «trippeux» qui arrêtent... bien sûr, cela les questionne... Mais font-ils vraiment le lien entre le théâtre et ces statues? Prennent-ils conscience du milieu régional? J'en doute... N'eût-il pas mieux valu que nous portions tous un costume?

En passant, je ne nie pas l'impact de cette action, loin de là! Ça frappe l'imaginaire, ça stimule probablement les conversations... Ce que je remets en cause, c'est l'«utilité». Les traces que ça laisse...

3 avril 2008 08:47

Jean-François Caron a dit…

Évidemment, je me sens interpellé par cette discussion puisque c'est moi qui ai posé LA question.

Quand je parlais d'utilité, c'était un peu vague. Et je ne suis pas certain que je savais vraiment ce que je voulais savoir.

Est-ce que c'est utile pour la société de tenir un événement comme celui-là?

Est-ce que ça sert le théâtre?

Est-ce que ça porte des fruits au niveau de la culture régionale?

Est-ce que ça incitera un public involontaire à réitérer l'expérience de façon volontaire?

De toute façon, je ne suis pas certain qu'il faille répondre à cette question. L'utilitarisme borné me pue au nez et si mes réflexes de journaleux prennent parfois le dessus, il n'est en général pas trop long que je me ravise.

Ce qui fonde l'art n'est-il pas justement son urgence, au-delà de toute nécessité à une quelconque justification?

Je me suis trouvé particulièrement chanceux de pouvoir être présent lors de cet événement. Ne serait-ce que dans l'exercice purement égoïste d'une satisfaction toute personnelle, pour moi ou pour ceux qui y participaient, ça valait le coup.

Au fond, c'est comme faire l'amour. C'est purement égoïste, satisfaisant, et si par hasard ça sert à quelqu'un d'autre par la bande, tant mieux...

3 avril 2008 09:23

marilune a dit…

merci de la réponse!

3 avril 2008 09:57

Mike on the Line a dit…

En cette soirée du 27 mars, que j'avais inscrite à mon Palm, que j'avais par la suite oubliée, mais à laquelle j'ai participé par hasard, parce que je consomme et fréquente la Place du royaume, j'ai passé un drôle de moment.

J'étais avant tout, ce soir-là, un badaud qui cherchait à se sustenter entre deux assauts boutiquiers... J'allais jouer dans la performance collective, certes, mais sans être sur sa scène, sans être dans le groupe. J'allais me statufier là où se retrouvait la moyenne des ours... à qui s'adressait d'ailleurs (j'espère) cette action.

Dans cet hyperespace relooké, au mobilier à la Philip Starck (car, malgré tout ce qu'on peut en penser, la place du royaume est aussi un endroit de culture), je me suis retrouvé immobile, les baguettes en l'air au-dessus de ma soupe tonkinoise. Une suspension agréable, juste légèrement excentrique, un brin rebelle. Voir, ici et là, cet arrêt démultiplié était vraiment plaisant, presque aussi plaisant que de voir la réaction des gens. J'ai beaucoup aimé.

Mais, à mon sens, les textes sont venus tout briser : J'ai eu l'impression d'entendre une longue oraison, vaguement intelligible, digne de l'acte des apôtres du dimanche matin, un édit public auquel la moyenne des ours devait se rallier. On ne m'offrait plus, on m'imposait, on martelait un message.

Peut-être est-ce uniquement parce que je me tenais à la périphérie de l'événement que je l'ai vécu comme cela. Mais, de l’extérieur, c’était malheureusement comme cela.

Drôle de soirée, donc, parce qu'a la fois puissante pour la poésie qu'elle insufflait par ces corps immobiles, mais aussi faible par le verbe déclamatoire, revêche, presque accusateur...

J'espère sincèrement que cet événement se répétera, et grandira pour rejoindre plus de gens et dans un périmètre plus large. Je souhaite seulement qu'on reconsidère l'aspect grandiloquent des discours dans cette performance : le médium est le message...

14 avril 2008 23:08

Les Immondes [états d'une solidarité]

Photographie: Le Quotidien (Sylvain Dufour)

Les Immondes, de Vicky Côté, sont des êtres dépendants poussés par un sentiment à s'accorder une immoralité ignoble, voire répugnante (dixit le programme). D'autre part, il s'agit d'un spectacle, inspiré, si j'ai bien saisi, d'une collaboration entre des artistes et l'organismes L.A.S.T.U.C.E.

De prime abord, il faut reconnaître dans ce spectacle la marque fidèle de Vicky (travail corporel soutenu, succession de tableaux, thème souvent repris de la communication interpersonnelle, monochromie des accessoires et du décors) qui nous avait déjà donné 10 vies sur tapis rouge et Sonô.

Les Immondes met en scène 3 personnages (fort bien campés d'ailleurs par une Sara Moisan aux membres tout aussi mobiles qu'expressifs, un Patrick Simard au visage étalant une infinie gamme de grimaces et une Carolyne Tremblay présente tant physiquement que vocalement) dans des situations de solidarité qui veut dire tant, parce que nous vivons finalement en équipe. Ces situations s'enchaînent donc dans une frénésie collective : l'orange, le baseball, l'anniversaire, les hots-dogs, etc.

L'ingéniosité est au rendez-vous. Le talent aussi. Vicky sait développer des moments précis où l'individu ne peut que se révéler. Souvent négativement. Toutefois, il est difficile de faire un lien entre les tableaux, de dégager un propos clair et significatif... Les rires surgissent à plusieurs endroits. D'où la question suivante: Les Immondes servent-ils le rire ou la réflexion? Probablement me répondra-t-on, les deux... j'en conviens. Seulement voilà, parfois, il semble que la tentation de performer passe avant la nécessité de passer un message...

C'est bref, je sais. Je manque un peu de temps... j'essaierai d'y revenir un peu plus tard...